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Prébiotique : l’intestin dans la ligne de mire

La science des prébiotiques n’a jamais été aussi bouillonnante qu’aujourd’hui. De plus en plus de candidats se bousculent désormais au portillon de ces « amis » de la flore intestinale. Les fructanes, et l’inuline en tête, conservent plusieurs longueurs d’avance. Un symposium leur était entièrement consacré récemment, à Paris*.

Par Nicolas Rousseau

HEALTH & FOOD " numéro 65, Mai/Juin 2004

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Aujourd'hui, il est formellement admis que l'intestin joue un rôle primordial, voire central, dans les défenses de l'organisme contre les agressions extérieures. Le Dr Christine Cherbut (Nestlé Research Centre) a ainsi rappelé les étroites connexions entre l'intestin et d'autres organes comme le cerveau et le système immunitaire. Premier point de passage obligé pour les aliments, il semblait également trivial que ce transit alimentaire puisse directement moduler le fonctionnement d'un organe désormais « anobli », au même titre que le tissu adipeux et son action endocrine.

Un concept évolutif

La formulation du concept de prébiotique, en 1995, par les Prof. Marcel Roberfroid (UCL) et Glen Gibson (University of Reading) allait rapidement donner raison à ce postulat. Près de dix années plus tard, le concept a évolué et, insiste Marcel Roberfroid, prétendre au statut de prébiotique doit nécessairement répondre à de strictes conditions. Il ne suffit plus en effet de modifier favorablement la composition et l'activité de la flore (l'effet « bifidogène »), mais il faut le faire de manière substantielle, avec un « index prébiotique » minimal de 4. 10 8 UFC (Unités formant colonies) de bifidobactéries et autres lactobacilles par gramme de prébiotique. Cet indice fait la différence entre la croissance observée de « bonnes » bactéries et celle de « mauvaises » bactéries. Plus il est élevé, plus le candidat prébiotique a des chances de satisfaire à cette définition. Seuls trois composés réunissent pour l'instant ces critères : l'inuline de la chicorée et son dérivé synthétique, l'oligofructose, ainsi que les galacto-oligosaccharides du lait maternel. Mais la définition pourra probablement bientôt inclure aussi les xylo-oligosaccharides ou encore certains oligosaccharides du soja.

Des pionniers solitaires

Elaboré sur l'autel des premières recherches conduites chez l'animal avec les fructanes, le terme prébiotique vit toujours pleinement au rythme de ces composés qui ont fait l'objet de plusieurs centaines d'études complémentaires, aussi bien in vitro que chez l'homme.

La fermentation sélective des fructanes par les bifidobactéries est à l'origine des nombreux effets positifs pour la santé répertoriés à ce jour. Les actions clairement reconnues sont une amélioration du transit intestinal avec l'augmentation de la fréquence et du volume des selles, ainsi que la potentialisation de l'assimilation intestinale de minéraux comme le calcium et le magnésium et, peut-être, le fer et le zinc. Mais si ce dernier effet est scientifiquement démontré, son efficacité, en termes de doses journalières actives, dépend du type de fructane. Il s'avère que le composé le plus actif est un mélange d'oligofructose et d'inuline à longue chaîne. Une série d'études menées chez le rongeur ont également révélé que les fructanes affectaient sensiblement le métabolisme des lipides, en particulier en abaissant la triglycéridémie, en raison d'une diminution du nombre de lipoprotéines VLDL. Chez l'homme, plusieurs données étayent cet effet surtout chez le patient normo- et légèrement hypertriglycéridémique, même si des résultats encore plus consistants et moins controversés sont toujours attendus. Mais pour l'heure, les recherches se concentrent surtout sur les effets anti-infectieux des fructanes, l'amélioration de la santé osseuse, ainsi que sur leurs propriétés antitumorales.

Une histoire de chaîne

Comme le rappelle Marcel Roberfroid, l'inuline est en réalité un terme générique qui recouvre tous les types de fructanes, qui se différencient selon la longueur de la chaîne glucidique. L'inuline native, présente dans la racine de chicorée, mais aussi dans certains aliments courants (banane, oignon, ail, artichaut, salsifis…), possède un degré de polymérisation (DP) moyen de 12. Son hydrolyse enzymatique partielle débouche sur l'oligofructose, un fructane à courte chaîne (DP moyen de 4). La technologie permet également de synthétiser une inuline à longue chaîne (« HP », avec un DP moyen de 25), ainsi qu'un mélange intermédiaire d'oligofructose et d'inuline à longue chaîne (appelé Synergy-1). Ces différences de taille de la molécule de fructane ont leur importance. Selon la longueur de la chaîne, le composé pourra exercer ses effets à divers endroits de l'organe : dans la partie proximale pour les chaînes courtes (inuline et oligofructose), dans la partie distale pour les longues chaînes (inuline HP) et pratiquement dans tout l'organe avec le mélange. Un détail qui prend donc toute sa dimension, puisque le lieu de la fermentation peut notamment influencer sur l'assimilation des minéraux ou les effets antitumoraux.

Résistance aux infections

L'hypothèse de l'amélioration par les prébiotiques de la résistance de l'organisme aux infections gastro-intestinales n'est pas neuve, souligne Glen Gibson. Plusieurs mécanismes potentiels indiquent que les bactéries lactiques issues de la fermentation prébiotique peuvent intervenir à ce niveau, notamment via l'abaissement du pH dans la lumière intestinale de manière à inhiber la croissance de microbes pathogènes. Plusieurs lactobacilles et bifidobactéries excrètent également des antibiotiques naturels qui ont un large spectre d'activité. D'autres voies de recherches suggèrent un rôle immunomodulateur direct ou indirect, une compétition pour les nutriments ou encore le blocage des sites d'adhésion dans l'intestin. Une des extrapolations du concept prébiotique est d'empêcher la fixation de pathogènes tels que Escherichia coli, les salmonelles ou les campylobacters sur leur récepteur intestinal. Des études sont en cours. La supplémentation en prébiotique de formules lactées pédiatriques semble avoir un effet préventif à l'égard de certaines formes de diarrhées aiguës, que ce soit sur la sévérité ou la durée de l'infection. Mais, pour Glen Gibson, il est encore trop tôt pour conclure que les prébiotiques ont un réel potentiel anti-infectieux, car la compréhension des mécanismes d'action est encore loin d'être complète.

Tromper la faim ?

On ne peut parler des prébiotiques et passer sous silence l'extraordinaire potentiel de recherche récemment mis à jour sur le contrôle de l'apport alimentaire. Aussi, le prof. Nathalie Delzenne a présenté les récentes recherches de son équipe de l'Unité de pharmacocinétique, métabolisme, nutrition et toxicologie (UCL) concernant les effets des fructanes sur la synthèse intestinale de gluco-incrétines (des peptides impliqués dans la régulation de l'apport alimentaire et/ou les fonctions pancréatiques, sécrétés par les cellules endocrines présentes au sein de la muqueuse intestinale) : deux puissants anorexigènes, le Glucagon-Like Peptide-1 (GLP-1), le Peptide YY (PYY) et un orexigène produit par l'estomac, la ghréline. Les études menées chez le rat montrent clairement et de manière persistante une augmentation de la synthèse du GLP-1 et de PYY dans le côlon des animaux nourris avec des fructanes. De manière intéressante, les taux plasmatiques de ghréline demeurent également plus faibles chez le rongeur en présence de fructanes dans l'alimentation. Ces résultats obtenus par biologie moléculaire confirment l'effet satiétogène observé avec les fructanes dans plusieurs études. Par ailleurs, l'augmentation de la sécrétion endogène de GLP-1 concourt à améliorer l'homéostasie glucidique chez les rats diabétiques. De quoi justifier des études approfondies sur la régulation de l'appétit dans la prise en charge de l'obésité et du diabète chez l'homme.

La voie des probiotiques

Peut-être est-ce le fruit du hasard, mais les recherches actuelles sur les défenses naturelles de l'organisme empruntent les mêmes travées que leurs compères, les probiotiques. En effet, comme les probiotiques, les prébiotiques peuvent améliorer chez l'animal la consistance et l'épaisseur du mucus qui protège la paroi intestinale. L'équipe du Dr Brigitta Kleesen (Institute of Bacteriology and Mycology, Leipzig) a ainsi observé chez le rat que l'administration d'un mélange d'inuline à longue chaîne et d'oligofructose améliorait la composition des biofilms bactériens (via une barrière physique de bifidobactéries) du mucus de la paroi intestinale de rats inoculés avec une flore intestinale humaine. L'expérience conduit à un épaississement du mucus via l'augmentation du nombre de goblet cells (des cellules mucineuses). Par rapport à des rats contrôles, cette intervention réduit significativement la colonisation de souches invasives de Salmonella thyphimurium. Les biofilms bactériens constituent une nouvelle théorie de l'axe prébiotique, mais ils doivent faire cependant encore l'objet de recherches. C'est aussi le cas des effets supposés sur le GALT (Gastro-intestinal Associated Lymphoid Tissue), le système immunitaire intestinal. Pour W. Allan Walker (Harvard Medical School), il est tout à fait crédible d'obtenir indirectement avec les prébiotiques ce que l'on observe sur l'immunité intestinale avec certains probiotiques, que ce soit sur l'adhésion, la modulation des interleukines pro- et anti-inflammatoire ou la réponse IgA sécrétoire. D'autres travaux font ressortir aussi l'impact direct des prébiotiques sur l'immunité. A l'avenir, prébiotiques et probiotiques gagnent probablement à travailler dans ce sens la main dans la main, comme l'a bien démontré le projet SYNCAN.

SYNCAN : un grand pas en avant

Effectivement. Intronisé en 1999, le projet SYNCAN, l'acronyme de Synbiotics and Cancer Prevention in Humans, a regroupé les compétences de chercheurs de sept pays de l'Union Européenne impliqués dans des essais cliniques, in vivo et in vitro ayant pour cible le cancer colorectal. Le projet vient de connaître son épilogue. Les principaux coordinateurs de SYNCAN, Kevin Collins (University College Cork, Ireland) et Jan Van Loo (ORAFTI Group, Tienen), ont livré en avant-première, à défaut de chiffres officiels, les messages essentiels. Le projet reposait sur l'administration d'un « synbiotique », c'est-à-dire un prébiotique et un ou plusieurs probiotique(s). Le mélange s'articulait sur 12 g de Raftilose® Synergy 1 et deux souches probiotiques, le Bifidobacterium bifidum BB12 et le Lactobacillus rhamnosus LGG, à raison de 10 10 UFC.

Au cours de l'essai clinique, 37 volontaires atteints d'un cancer du côlon et ayant subi une résection curative, ainsi que 43 patients polypectomisés ont été recrutés. Pendant 3 mois, ils ont pris tous les jours soit un placebo, soit le synbiotique. La sauce a vraisemblablement bien pris puisque, à la fraîche lecture des résultats, il existe de fortes supputations d'une action préventive du synbiotique sur le développement du cancer colorectal, en particulier chez les sujets polypectomisés. De nombreux marqueurs mucosaux et immunologiques ont été favorablement affectés par l'intervention, tout comme un effet positif sur les dommages occasionnés à l'ADN. Parallèlement, chez l'animal, on constate aussi une diminution significative de l'incidence tumorale, en corrélation avec l'augmentation des concentrations en acides gras à courte chaîne dans le côlon (surtout le butyrate). Enfin, les études in vitro concluent dans la même direction : l'enrichissement en prébiotique abaisse le potentiel génotoxique par rapport au placebo sur plusieurs lignées de cellules cancéreuses humaines.

Bref, des résultats qui concordent à tout point de vue et dont la publication officielle est attendue. Sans le vouloir, SYNCAN a sans nul doute ouvert une nouvelle dimension de recherche et la voie à de futurs mariages d'intérêt entre pré- et probiotiques…

Nicolas Rousseau,
Diététicien nutritionniste

* Inulin and Oligofructose. Feelgood Factors for Health and Well-being. La Vilette Conference Centre, Paris. 12-13 février 2004.

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