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Une recette qui sauve des vies

Les travaux permettant d’épargner des millions de cas de maladies des yeux et de lutter contre la mortalité des femmes et des enfants sont récompensés.

Par Nicolas Guggenbühl

" HEALTH & FOOD " numéro 48,
Septembre 2001

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Qui se soucie de la carence en vitamine A dans le monde ? Dans nos sociétés de pléthore, le rétinol et ses dérivés évoquent avant tout des risques de surdosage : médicaments, suppléments, voire même l’enrichissement brandissent surtout la menace d’un surdosage. Quant aux caroténoïdes précurseurs de la vitamine A, ce sont leurs propriétés anti-oxydantes plus que leur activité vitaminique A qui occupent le devant de la scène nutritionnelle.

Découverte controversée

Malgré son âge plus qu’honorable - elle est presque centenaire - la vitamine A n’est pas prête à rendre l’âme. A l’échelle de la planète, elle détient encore le triste record de figurer parmi les plus grandes carences nutritionnelles. Chacun connaît le rôle occupé par ce nutriment dans la vision. Chaque année, quelque dix millions d’enfants présentent une diminution de la vision nocturne par manque de vitamine A et un demi-million d’entre eux deviennent aveugles. Mais ce n’est pas tout : la vitamine A jouit de propriétés anti-infectieuses et sa carence, même modérée, augmente considérablement la mortalité infantile, en particulier celle qui est due à la rougeole et à la diarrhée. Cette découverte, au départ très controversée, revient à l’acharnement d’un homme : le Prof. Alfred Sommer, de l’Université Johns Hopkins à Baltimore (Etats-Unis), qui s’est vu décerner le Prix Danone International de la Nutrition 2001- un prix biennal de 120 000 EUR destiné à encourager la recherche nutritionnelle oeuvrant pour la santé publique - remis dans le cadre du 17e congrès International de Nutrition (Vienne, 27-31 août).

Priorité a la voie orale

De 1983 à 1992, l’équipe de Sommer a réalisé plusieurs études randomisées à grande échelle pour convaincre la communauté scientifique (ainsi que les responsables politiques) de l’importance de leurs découvertes sur la vitamine A. Elle y est finalement parvenue car grâce à elle, la lutte contre la carence en vitamine A est intégrée dans la Déclaration des Droits de l’Enfant et dans le Plan d’Action du Congrès Mondial sur l’Alimentation (World Food Congress). Les actions de Sommer ont montré que l’administration orale de vitamine A remplaçait avantageusement les solutions stériles injectables et cette pratique constitue actuellement l’intervention sanitaire la plus rentable qui soit. Plus de 70 pays luttent contre les conséquences dévastatrices de la carence en vitamine A. Ainsi, au Népal, quelque 45 000 femmes distribuent volontairement, deux fois par an, de petites gélules rouges de vitamine A à deux millions d’enfants et ce dans les coins les plus reculés, sauvant ainsi environ 25 000 vies. La carence en vitamine A ne concerne pas seulement les enfants mais aussi leur mère, dont le statut en vitamine A détermine celui de l’enfant à la naissance. Récemment, l’équipe de Sommer a montré que l’administration de vitamine A ou de bêta-carotène permet aussi de réduire considérablement (en moyenne de près de 45 %) le taux de mortalité maternelle des femmes carencées.

Et le futur ?

La vitamine A n’est pas un nutriment onéreux et des denrées enrichies en vitamine A voient progressivement le jour aux quatre coins du monde. Mais pour Sommers, l’enrichissement a ses limites : contrairement à l’iode, qui est suffisamment stable pour être ajouté dans une denrée aussi courante que le sel, la vitamine A est sujette à l’oxydation. Par ailleurs, le contrôle des quantités consommées est très difficile à réaliser et les populations les plus pauvres (souvent les plus touchées) n’achètent pas les produits des grandes multinationales.

Que penser du riz jaune, cet organisme génétiquement modifié, rendu capable de synthétiser du bêta-carotène ? Le chercheur souligne qu’il faudra encore éclaircir plusieurs points, notamment pour ce qui est de la biodisponiblité de ce carotène, de l’appréciation de ce riz par les populations habituées au riz blanc et des personnes qui seront chargées de le cultiver. Mais le lauréat reconnaît qu’il s’agit d’une découverte majeure dotée d’un énorme potentiel. D’autant qu’il semble que l’équipe européenne ayant mis au point ce riz jaune prévoit, d’ici deux à trois ans, la naissance d’un petit frère capable de synthétisées de la vitamine A préformée…

Nicolas Guggenbühl
Diététicien Nutritionniste

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