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Qui dort dine...sucre !

Comme on fait son lit, on se couche, mais le sommeil se nourrit aussi de la qualité de notre assiette. De cette histoire à dormir debout, retenons qu’un bon dormeur est probablement une “bouche à sucre”.

Par Nicolas Rousseau

" HEALTH & FOOD " numéro 46,
Avril-Mai 2001

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"Pour bien dormir, un déjeuner de roi, un dîner de prince et un souper de pauvre tu prendras”, dit un vieil adage. En effet, il est reconnu depuis longtemps déjà qu’un repas copieux le soir ne fait pas bon ménage avec l’oreiller, loin s’en faut. Ces quinze dernières années, la perception du lien qui unit l’alimentation à la somnolence a toutefois fortement évolué. La conférence de presse internationale sur le sommeil, organisée récemment* à Paris par la société pharmaceutique Sanofi-Synthelabo a rappelé l’importance de faire bonne pitance avant d’aller se coucher.

Repas friand, sommeil de plomb

Selon le Prof. Guezennec (physiologiste, Centre d’Etudes et de Recherche en Médecine Aérospatiale, Brétigny-sur-Orge, France), des expériences récentes réalisées chez le rat indiquent que le volume et la nature des repas influencent la durée et la répartition des différentes phases du sommeil. Des rongeurs rendus hyperphagiques augmentent la durée totale de leur sommeil aussi bien dans la phase profonde (le sommeil à ondes lentes ou SOL) que dans la phase du rêve (le sommeil paradoxal ou SP). A l’inverse, la dénutrition expérimentale réduit la durée du sommeil. La perfusion intracérébroventriculaire d’acides aminés augmente la quantité de SP, la perfusion de glucose prolonge celle de SOL. En d’autres termes, la qualité du sommeil et la récupération sont optimalisées après l’ingestion d’un repas de nature glucidique.

Chez l’homme, la structure du sommeil est également influencée par la transition “table-édredon”. Plusieurs études indiquent clairement que l’absorption de glucides augmente, dans un délai de 30 à 60 minutes après l’ingestion, la tendance à la somnolence. Chez les sportifs d’endurance, la pratique courante d’un régime dissocié scandinave, pour optimaliser les réserves de glycogène avant la compétition, a révélé aussi des modifications de l’architecture du sommeil. L’analyse des nuits correspondant aux différentes phases du régime reproduit les résultats obtenus chez le rongeur : les glucides seraient donc hypnogènes.

Sucreries ou conduite, il faut choisir

Sur la route, la manière dont on s’alimente influence sans doute le niveau de vigilance. Ainsi, il est probable qu’une alimentation riche en glucides réduise l’attention d’un conducteur fatigué. Une alimentation plus riche en protéines assurerait un apport calorique identique et aurait un effet moins néfaste sur l’induction de petits épisodes de sommeil. Lorsque la fatigue nous surprend au volant lors d’un long voyage, outre le réflexe de penser à s’arrêter régulièrement, il serait donc sage de limiter la consommation de produits sucrés au profit d’un bon sandwich-fromage, par exemple. Fractionner la prise alimentaire tout au long du périple permettrait également d’éviter de provoquer des pics insuliniques hypnogènes. A quand une prévention routière sur les “douceurs” ?

Quand le cerveau s’en mêle

Deux hypothèses sont proposées pour étayer les relations fonctionnelles entre glucides, sommeil et éveil. La première laisse supposer que l’insuline cérébrale est hypnogène. Tout pic d’insuline périphérique entraînerait la sécrétion d’insuline cérébrale. La question reste encore toutefois de savoir si l’insuline est directement hypnogène ou si ce sont ses conséquences sur un autre neuromédiateur, la sérotonine, qui entraînent le sommeil. Pour le Prof. Guezennec, c’est cette seconde éventualité qui semble la plus pertinente. Dans ses travaux, il a ainsi pu montrer que chez le rat, la consommation d’un repas riche en glucides induit une hypersérotoninémie cérébrale, qui traduit la satiété, mais aussi la somnolence post-prandiale. Chez l’homme, notamment lors de régates en voilier habitable, les différents membres d’équipage, privés volontairement de sommeil et ayant reçu un régime hyperglucidique, résistaient moins à l’appel de la couette que les sujets ayant reçu une alimentation riche en protéines. Ce phénomène s’explique par l’action de l’insuline qui agit sur la liaison du tryptophane à l’albumine et augmente le transfert de ce précurseur direct de la sérotonine au niveau cérébral. A l’inverse, un repas riche en protéines accroît la vigilance par la synthèse des monoamines adrénergiques (l’adrénaline et la dopamine notamment) dans l’hypothalamus et une réduction de la synthèse de sérotonine cérébrale. Enfin, selon Eve Tiollier (Nutritionniste, Vielife, Maisons Laffite, France), la production de la sérotonine est également dépendante de cofacteurs tels que le fer, le magnésium, les acides gras essentiels ou la vitamine B6. Les déficiences en ces nutriments sont fréquentes dans la population générale et pourraient peut-être expliquer partiellement la forte prévalence de l’insomnie et donc la difficulté de certains à gagner les bras de Morphée, même après que le marchand de sablés (les biscuits) ait accompli son office !

Nicolas Rousseau
Diététicien Nutritionniste

* Open your eyes to sleep, Maison de l’Amérique Latine, Paris, 23 février 2001.

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